Par Célian Macé Libération — 1 septembre 2016 à 19:11
Les résultats officiels de la présidentielle dans la région du Haut-Ogooué, ultra-favorables à Ali Bongo, sont contestés par son rival, Jean Ping. Les opposants ont été violemment réprimés.
C’est une province peu peuplée, minière (on y trouve les principales réserves de manganèse du Gabon) et où 250 fossiles en excellent état de conservation retrouvés en 2010 ont apporté, pour la première fois, la preuve de l’existence d’organismes pluricellulaires durant le protérozoïque, il y a 2,1 milliards d’années. Mais le Haut-Ogooué est surtout la région natale de la famille Bongo. C’est donc ici que se serait concentrée la fraude électorale du scrutin présidentiel du 27 août.
Selon les résultats officiels proclamés par le ministre de l’Intérieur mercredi, les électeurs du Haut-Ogooué auraient voté comme un seul homme en faveur du président sortant, Ali Bongo, qui recueillerait 95,46 % des voix. Mais surtout, ils se seraient mobilisés dans une proportion encore jamais vue : 99,93 % des citoyens inscrits sur les listes électorales auraient fait le déplacement jusqu’aux urnes.
En 2009, ils étaient 65 % selon les chiffres officiels. Et, déjà, la participation était gonflée si l’on en croit un câble de l’ambassadrice américaine de l’époque, révélé par WikiLeaks, qui doute à la fois de la dimension des listes électorales et du taux de votants : celui-ci est «considérablement plus haut (15 points) que dans les huit autres provinces du Gabon. Sans le large nombre de votes du Haut-Ogooué, les 41 % de suffrages d’Ali Bongo baisseraient de façon significative. […] Ramené à un taux de participation plus raisonnable, comparable aux autres provinces, Ali Bongo perdrait 12 points sur le décompte total officiel».
Cette fois-ci, le régime a poussé le bouchon un peu loin. Il faut dire qu’après le dépouillement des votes dans les huit autres provinces (dont l’opposition ne conteste pas les résultats), il avait près de 60 000 voix à rattraper. Ali Bongo s’est donc octroyé 65 073 bulletins en sa faveur (contre 3 071 pour Ping) dans le Haut-Ogooué, d’après le procès-verbal de centralisation rédigé lundi et dont Libération a obtenu copie. Ce résultat improbable a permis au président sortant de revendiquer la victoire finale, en dépassant le score national de Jean Ping de 5 594 voix.
Interrogé sur la crédibilité de ces chiffres, un haut responsable de la Commission électorale, représentant du parti au pouvoir, a commenté ainsi : «Nous sommes à mille kilomètres du Haut-Ogooué. Nous ne pouvons pas savoir quel a été le degré de mobilisation populaire.»
Les partisans du leader de l’opposition ont fait leurs propres calculs. Selon leur décompte, transmis à Libération, 29 114 personnes ont voté dans le Haut-Ogooué (et non 68 399, comme indiqué sur le PV officiel). Ali Bongo arriverait bien en tête avec 24 910 voix (soit 86 % des suffrages exprimés), un score insuffisant pour combler l’écart national avec Jean Ping. Celui-ci remporterait donc l’élection avec 38 000 voix d’avance. «Nous avions des représentants légaux dans chaque bureau de vote, même dans le Haut-Ogooué, précise un responsable européen de l’équipe de campagne de Jean Ping. Nos chiffres sont tout simplement ceux des procès-verbaux que nous avons transmis à la mission européenne d’observation des résultats.» Cette dernière demande au gouvernement gabonais la publication des résultats bureau par bureau. Sans succès pour l’instant.
A la Une: Gabon, la poudrière
Par Norbert Navarro RFI
Illustration à « la Une » d’Afrique Inside, qui publie une image de nuit de la capitale gabonaise, éclairée par les lueurs d’un incendie, celui de l’Assemblée nationale, embrasée « sans que les forces de sécurité ne ripostent, souligne ce site d’informations en ligne. En 2009, seul Port-Gentil avait subi des troubles, Libreville avait été épargné ». Afrique Inside décrit ainsi une atmosphère « quasi-explosive dans certains quartiers de Libreville ».
Emeute, donc, mais aussi appréhension, car, « sans être catastrophiste, on devrait s’inquiéter de ce qui risque d’arriver dans les prochains jours au Gabon, craint Le Djely. Parce que dans la crise en gestation, aucune perspective de solution n’est en vue, souligne ce journal guinéen en ligne. Chaque camp demeure dans sa logique et est résolu à faire triompher cette dernière (…) Naturellement, l’image du régime en sortira écornée. Mais au stade où on en est, c’est le cadet des soucis d’Ali Bongo », déplore Le Djely. C’est « la honte ! », lance Le Pays, au Burkina-Faso. Ce quotidien affuble le président sortant d’un sobriquet on ne peut plus lapidaire. Pour Le Pays, Ali Bongo, c’est « Ali Baba » ! « S’il a vraiment compris la soif d’alternance des Gabonais, (Ali Bongo) devrait commencer à songer à préparer, dès à présent, son départ, même si l’orage venait à passer, ajoute Le Pays. Deux septennats dans les conditions que l’on sait, ça suffit ! »
« Comme on le voit, soupire son confrère L’Observateur Paalga, c’est l’ancien îlot de stabilité qui est entré dans une logique d’affrontement à l’issue incertaine ». Dans cette situation de « chaos », cet autre journal ougalais craint que « la Grande Muette vienne mettre les godillots dans le plat ». Ce qui conduit sans attendre L’Observateur à se demander ce que fera la France, « l’ancienne puissance tutélaire qui, outre d’énormes intérêts économiques à préserver, a une base militaire au Gabon. Va-t-elle se ruiner en vaines médiations ou alors comme elle l’a si souvent fait du temps de la Françafrique, se contentera-t-elle de tirer les ficelles ? », s’interroge L’Observateur Paalga.
Pour le journal Aujourd’hui, la réponse à cette question est toute trouvée. Tout en se demandant si la France a « lâché Bongo fils », ce confrère estime que « tout semble indiquer, sous réserve d’une évolution de la situation, que Ali Bongo n’est pas dans les petits papiers de la France hollandienne ».
Gabon : que fera la France ?
Mediapart se demande également si la France va « jouer l’arbitre de la crise électorale gabonaise ». Ce site Internet très en vue estime donc Jean Ping « qui a été pendant longtemps l’un des piliers du régime d’Omar Bongo et complice de ses magouilles (…) compte sur une intervention extérieure pour remporter le bras de fer engagé contre l’oncle de ses enfants ». Et Mediapart souligne que « le soutien de Paris lui est visiblement acquis ».
De son côté, Libération se pince le nez. Car, selon ce journal, plane au Gabon « une tenace odeur de fraude ». Comparant l’élection présidentielle de samedi dernier à celle de 2009, ce quotidien français estime que, dans le Haut-Ogooué, le régime Bongo a, cette fois-ci, « poussé le bouchon un peu loin » en octroyant « 65 073 bulletins en faveur (d’Ali Bongo) contre 3 071 pour Ping », précise-t-il.
Refus du recomptage non-prévu par les lois gabonaises ? « Cette position de fermeté ne sera pas facile à maintenir », prédit Le Figaro, le Gabon est « au bord de l’embrasement », car les points de vue « semblent irréconciliables » et la situation « de plus en plus dangereuse », estime ce journal conservateur français.
Le silence des chefs d’État africains sur les élections et les heurts au Gabon
http://www.jeuneafrique.com/ 01 septembre 2016 à 19h51 Par Barthélémy Gaillard
Le scrutin serré de la présidentielle gabonaise et les heurts qui ont suivi n'ont provoqué que très peu de réactions officielles de la part des chefs d'État africains.
Au Gabon et un peu partout dans le monde, les réactions ont fusé. Depuis mercredi soir et la courte victoire largement contestée d’Ali Bongo Ondimba dans la course au palais présidentiel, des heurts ont éclaté à Libreville, avec en toile de fond des déclarations triomphales du vainqueur et des sorties critiques et amères du vaincu, Jean Ping, l’ancien président de la Commission de l’Union africaine, dont le QG de campagne a été attaqué.
Déclarations venues du monde entier
Au-delà des frontières gabonaises, les dirigeants des principales puissances mondiales sont vite montés au créneau. L’ONU, les États-Unis, l’Union européenne et la France ont tous appelé au calme pour « préserver la paix et la stabilité du pays », comme a pu l’exprimer Ban Ki-moon le secrétaire général onusien. Washington, Bruxelles et Paris ont également tous réclamé le recompte des votes, bureau par bureau, y compris dans la province du Haut-Ogooué, fief de la famille Bongo, où le président sortant a réalisé un score de 95,46% avec un taux de participation de 99,3%.
Mutisme des chefs d’État africains
Dans ce concert des nations, toute une partie de l’orchestre reste pourtant bien silencieuse. En effet, aucun des principaux chefs d’État de la région n’a fait de déclaration : ni Denis Sassou Nguesso, ni Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, ni Paul Biya ou encore Joseph Kabila ne se sont exprimés.
Le seul à s’être manifesté, contraint et forcé, reste Alassane Dramane Ouattara. Et pour cause, le président ivoirien s’est vu obliger de limoger son conseiller spécial Mamadi Diané, accusé de soutenir et d’aider le challenger Jean Ping dans la course à la présidence gabonaise. Outre la sanction, Alassane Ouattara s’est contenté d’un communiqué indiquant que « la présidence de la République ivoirienne condamne cet acte d’ingérence et rassure les autorités et le peuple gabonais qu’elle tient au strict respect de la souveraineté de la république gabonaise.»
L’Union africaine, seule voix continentale audible
Sur le continent, seuls les dirigeants de l’Union africaine ont réagi. Erastus Mwencha, son vice-président, a signifié toute sa « tristesse » face à la « flambée de violence » que connaît le Gabon depuis 24 heures (au moins un mort, un millier d’interpellations et des pillages dans les rues de Libreville) : « J’espère sincèrement que l’escalade de la violence va être stoppée et qu’elle ne mettra pas en péril la paix et la stabilité du pays », a commenté le Kényan.
Quelques heures plus tard, la présidente de la Commission de l’Union Africaine a abondé. Nkosazana Dlamini Zuma a assuré « suivre de près la situation au Gabon et avoir « pris note des résultats préliminaires annoncés par la CENAP » tout en exprimant sa tristesse de voir « surgir la violence dans le pays, entraînant des morts, des blessés et des dégâts matériels ».
Finalement, la seule star continentale à s’être exprimée sur le sujet ne vient pas du sérail politique, mais des terrains de foot. Pierre-Emerick Aubameyang, le Ballon d’or africain 2015, a rappelé sur Twitter qu’il jouerait contre le Soudan avec la sélection nationale gabonaise vendredi soir. Un match disputé pour « la chose qui lui tient le plus à cœur » et qui selon lui « a toujours bien décrit le Gabon : la paix. »
Gabon : pourquoi la France tourne le dos à Ali Bongo
http://www.lesechos.fr/ JUSTINE BABIN Le 01/09 à 18:42Mis à jour le 02/09 à 10:43
Le ministère des Affaires étrangères a exprimé ses « doutes » quant à la transparence des résultats ayant conduit Ali Bongo Ondimba à la victoire. La France avait pourtant soutenu sa candidature aux précédentes présidentielles.
La France a officiellement exprimé ses « doutes » jeudi quant à la véracité des résultats de l'élection présidentielle au Gabon qui donne vainqueur, à 49,85% des suffrages, le président sortant Ali Bongo Ondimba. Cette victoire sur son opposant Jean Ping, contestée par une partie des électeurs, a suscité une vague de violences à Libreville, la capitale du pays. Le président François Hollande a réclamé « un processus garantissant la transparence ». Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a, lui, demandé à ce que « les résultats des élections soient donnés bureau par bureau ».
Cette demande fait référence aux résultats étonnamment élevés du président sortant Ali Bongo Ondimba dans sa région natale, le Haut Ogooé. Il y aurait raflé 96% des suffrages avec un taux de participation de 99,98%, ce qui signifie que seuls une dizaine d'électeurs, sur les quelque 71.000 habitants que compte ce « gouvernorat », ne seraient pas allés aux urnes le 27 juin.
Avant même la publication des résultats du vote, le Parti socialiste avait esquissé dimanche ce que pourrait être la réaction française à une nouvelle victoire d'un membre de la famille Bongo. « Le vote libre des citoyens est l'outil par lequel la démocratie s'exprime et l'alternance, quand ils le décident, doit fonctionner. Voilà pourquoi la démocratie doit triompher au Gabon, comme C'est déjà le cas dans plusieurs Etats, et ce mouvement doit s'amplifier. Voilà plus d'un demi siècle que la famille Bongo gouverne le Gabon. Une alternance serait signe de bonne santé démocratique et un exemple ", avait-il exprimé dans un communiqué.
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